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La question du genre, enjeux politiques et psychothérapeutiques

Le genre

 

Cartographie

Le corps et le sexe sont une affaire politique, dès lors que nous en disons quelque chose dans l’espace public et que des processus sociaux et normatifs cherchent à s’y imposer. Les études anglo-saxonnes sur le genre (gender studies), fondées notamment par Judith Butler et Gloria Anzaldúa, instaurent le passage, sur la question du sexe et de la sexualité, d’une logique purement biologique à celle d’une construction éminemment sociale, environnementale et culturelle. Cette approche transcende un raisonnement duel souvent formulé en termes de « vérité », et ouvre la réflexion vers une pluralité d’expériences, certaines majoritaires d’autres minoritaires, mais toutes reconnues comme légitimes d’exister.

Ce paradigme ne se fraye aujourd’hui encore qu’un mince sillage, tellement le brouhaha tumultueux de ses détracteurs n’a de cesse de polluer le dialogue. L’assignation arbitraire du genre imposée par des structures sociales hétéro-normées produit l’exclusion de millions de personnes de par le monde, et diverses mises en danger allant jusqu’à la persécution et la mort. Cette réalité, centrale, rend la prise de position sur le genre délicate depuis la sphère de la santé, car rumeurs et idéologies de toutes sortes influencent les différentes strates de réflexion. Mais, justement par les enjeux qu’il représente pour les individus, il est fondamental de le faire.

De l’obsession d’un « savoir » sur le sexe, à l’exacerbation du « pouvoir »

Les travaux de Foucault pointaient déjà à quel point le « faire société » est construit sur une obsession redondante de la maîtrise d’un savoir sur le sexe. Ce « savoir » décidant par exemple, arbitrairement, que la sexualité d’un individu représente sa part la plus intime, et en y renouvelant des normes toujours plus excluantes. Laurie Laufer souligne aussi aujourd’hui comment la logique implacable du discours dominant de notre époque, au prétexte d’arguments dits « scientifiques », veille à réduire les questionnements liés au genre à une place marginale. La boucle est bouclée : non seulement, la définition même du genre ne peut se déployer, mais l’irrespect épistémologique des études nourrit dans une mesure encore plus insidieuse et systémique ce processus de discrimination. Cet élément nous explique aussi, aisément, la proximité entre les « gender studies » et les « cultural studies », la question de la culture étant soumise au même traitement épistémologique.

Les affres de ces dynamiques de pouvoir et de domination s’inscrivent dans le psychisme dès la petite enfance, et revêtent de nombreuses conséquences sur la construction identitaire. Butler précise ainsi dans « Le récit de soi »: « Définir une identité dans les termes culturellement disponibles revient à poser une définition qui exclut à l’avance la possibilité que de nouveaux concepts de l’identité émergent ».

Ces mêmes normes ont pu malheureusement s’étendre jusqu’aux espaces de soin. Les standards médicaux, politiques, éthiques, ont conduit pendant très longtemps, et encore aujourd’hui, à une psychiatrisation massive qui impose comme déviantes  ou pathologiques les expériences de genre et de sexualité qui n’entrent pas directement dans le faisceau de l’hétéro-normativité. Cette stigmatisation engendre en soi un mal-être psychique considérable, et la conscience de ces mécanismes d’exclusion et de leurs conséquences psychologiques sur les identités individuelle et collectives sont la première base pour un accueil psychothérapeutique sécure de tout un chacun.

Notre positionnement

Au delà des précautions méthodologiques dans l’accueil des personnes, la psychothérapie est un acte éminemment politique, puisqu’elle se revendique d’emblée dans une protection et respect de toutes les singularités.

Il nous semble donc important, en tant que psychothérapeutes, de nous positionner clairement sur ces questions et de rendre explicite notre approche. Nous croyons en effet que le développement de chacun doit pouvoir se dérouler dans un libre cheminement, exempt de statuts qui ne feraient sens que dans un ordre préétabli, représentant souvent un carcan pour l’individu.

Vigilantes sur les standards de « normalité », ce qui demeure à nos yeux un concept creux, nous veillons à la transparence dynamique de la position du thérapeute, son analyse constante des mécanismes en filigrane de son positionnement, et son enrichissement par le dialogue pluridisciplinaire mais aussi avec des savoirs non-académiques.

Notre positionnement quant aux questions liées au genre se conjugue ainsi à notre épistémologie inter-culturelle : le récit de soi et le respect de la vulnérabilité ne sauraient souffrir d’aucun déterminisme nosographique.

Nadia Essaadi

Parwa Mounoussamy

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Pour aller plus loin…

  •  Anzaldúa, G. Borderlands/La Frontera: The New Mestiza. San Francisco : Aunt lute books, 1987
  • Butler, J. Le Pouvoir des mots. Politique du performatif, traduction de Charlotte Nordmannavec la collaboration de Jérôme Vidal, Éditions Amsterdam, Paris, 2004
  • Butler, J. Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, préface d’Eric Fassin, traduction de Cynthia Kraus, La Découverte, Paris, 2005 (ISBN978-2-7071-5018-9)
  • Butler, J. Le Récit de soi, traduit de l’anglais par Bruno Ambroise et Valérie Aucouturier, Paris, Puf, 2007.(ISBN978-2-13-055551-3) ; version française du livre Giving an account of oneself
  • Foucault, M. Dits et Écrits, vol. 1 : 1954-1969, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences humaines », 1994
  • Foucault, M. Histoire de la sexualité, vol. 1 : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976
  • Laufer, L. Quand dire, c’est exclure. Cliniques méditerranéennes, ERES 2016, Les figures actuelles de la ségrégation, pp.21-36.

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