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Fin du monde, psychose de masse ?

Le terme « psychose » est utilisé pour la première fois en 1845 par Ernst von Feuchtersleben, médecin viennois, qui le propose de façon générale comme alternative au terme « aliénation » ou « folie » (Encyclopaedia Universalis France). 

Il a été repris et développé par la psychanalyse et la psychopathologie grâce à des auteurs comme Freud ou Klein, qui décrivent plus spécifiquement des troubles psychiatriques graves avec des atteintes profondes de la personnalité.  La psychose engendre une forte distorsion dans la perception de la réalité, allant jusqu’à placer la personne complètement en dehors de celle-ci. Pour Bergeret, la psychose est une « structure psychique ». 

Dans le langage commun on a aujourd’hui tendance à utiliser « psychose » pour qualifier les symptômes que celle-ci peut provoquer, comme un délire ou une pensée paranoïaque. De façon récurrente, il est aussi utilisé par pour désigner une peur non fondée ou une croyance exacerbée et irrationnelle. 

  • A l’heure où les grandes forêts du monde brûlent et des centaines d’espèces disparaissent chaque jour, peut-on qualifier de « non – fondée » la crainte d’un point de non retour dans la dégradation de notre écosystème ? 
  • Alors que des milliers d’humains sont confrontés au manque d’eau, que les refugiés climatiques se multiplient, peut-on dire que la crainte de disparition d’une partie de l’humanité est irrationnelle ou exacerbée ? 

La situation de la planète a un impact sur le psychisme individuel, et le lien entre bien-être psychique et situation écologique devient plus intime et plus criant. C’est hors mis l’urgence, dû à une médiatisation accrue des informations, et aux analyses et réactions individuelles et collectives à ce sujet. 

Cet impact se traduit de différentes formes : « solastalgie » – dépression causée par la crise écologique – situations de stress chronique ou aigu, en lien avec la répétition d’images choc de détresse humaine et non-humaine. 

Nous observons également une transformation des gestes personnels, sociaux et politiques, avec des écarts générationnels particulièrement médiatisés : des enfants de plus en plus jeunes refusent de manger des animaux, des adolescents s’adressent révoltés à des adultes dirigeants qui n’arrivent pas à mobiliser leurs ressources psychiques et matérielles de façon efficace. 

Comment comprendre cette résistance ? 

Une piste peu explorée est de prendre conscience que la crise écologique nous pousse à nous confronter, en tant qu’individu et en tant qu’espèce, à l’éventualité de notre propre disparition. 

Or, la mort représente un « impensable », à la fois non élaboré par le psychisme et présent en filigrane tout le long de la vie. 

Nous nous retrouvons donc dans une obligation de penser notre propre mort, ce qui qui déclenche, logiquement, des mécanismes de défense farouches. 

Comment penser l’impensable ? 

Comment, justement, éviter que ce refus de penser la crise écologique provoque ou entretienne un déni de réalité proche de la psychose ? 

C’est encore Ernst von Feuchtersleben, médecin viennois issu du romantisme allemand, qui nous ouvre des pistes de réflexion fort intéressantes. Ce courant philosophique met l’accent sur l’irrationalité, l’inconscient, la sexualité, le contact avec la nature et les valeurs individuelles dans la construction d’une approche de l’équilibre psychique. Ceci en s’opposant à l’esprit des Lumières des écoles françaises et anglaises, empiriques et rationalistes, qui cultivaient l’espoir d’une explication scientifique à tous les troubles mentaux et pour construire la notion de santé. 

Aujourd’hui, c’est l’éco-psychologie, davantage représenté dans le monde anglo-saxon qu’en France, qui modélise cette passerelle conceptuelle. 

En effet, la Raison ne peut appréhender la réalité d’une « Nature » autrement que comme objet extérieur à soi. Cependant, ce serait uniquement par l’expérience de connexion à cette même Nature, centrale par ailleurs à notre équilibre psychique, que nous pouvons intégrer un sentiment d’unité profonde avec elle. Par l’expérience du contact profond, de la rencontre intime, il ne s’agit pas de mettre au travail la dimension relationnelle entre l’Humain et la Nature, mais plutôt d’en transcender la séparation. Ce remaniement du « dedans » et du « dehors », des contours conscients et inconscients de notre psyché profonde serait la clé pour accéder à une mobilisation des ressources psychiques nécessaires, et déclencher les mécanismes de résilience et d’action face à cet “impensable”.

Notre positionnement face à ce constat.

Nous voyons rapidement en quoi cette idée fait peur d’un côté et pourrait facilement faire sourire notre entourage de l’autre. Car, en tant qu’héritier.e.s direct.e.s des Lumières et bien avant même d’arriver sur le terrain de l’écologie, cette approche nous demande de changer profondément notre façon d’appréhender le savoir, dont la seule version pure et fiable nous viendrait de la Raison. A échelle mondiale, la domination de ce système de connaissances sur d’autres considérés souvent comme folkloriques, a recréé une discrimination épistémologique que nous avons déjà pointé sur la question des cultures ou celle des genres *. 

En tant que psychothérapeutes nous savons qu’une personne avec des bases affectives solides et ayant travaillé à inclure de façon maîtrisée dans son fonctionnement son angoisse de mort et les dimensions inconscientes individuelles et collectives qui la traversent, sera plus à même de prendre de la distance avec son héritage de pensée et le transcender si elle le souhaite.

En tant que citoyen.n.e.s d’un monde en transformation profonde et rapide, nous ne pouvons qu’inviter tout.e et chacun.e à regarder avec sincérité ses bases affectives, les solidifier si besoin avec les outils de libre choix, afin de pouvoir suivre le rythme d’adaptations qui nous est imposé.

*voir nos articles « comprendre les processus identitaires aujourd’hui » et « La question du genre : enjeux politiques et psychothérapeutiques »

Parwa MOUNOUSSAMY

Pour aller plus loin…

  • Albrecht, G. « Solastalgia. New concept in human health and identity », Nature, n° 3, 2005.
  • Morin, E. La Méthode, tome 3 : La connaissance de la connaissance. Anthropologie de la connaissance; Editions du Seuil, 198.
  • Moser, G. Psychologie environnementale, Editions De Boeck, 2009
  • Bergeret, J. Psychologie pathologique. Coll ABREGES 11e édition
  • S., Rateau, P. et Rouquette, M-L. Les peurs collectives. Editions érès,  2013
  • France Culture, Les racines du ciel : L’écopsychologie, soigner la terre par le bien être des êtres humains, 10 janvier 2016

1 commentaire pour “Fin du monde, psychose de masse ?”

  1. waw felicitaciones por decir y profundizar con palabras sencillas lo que uno siente

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